Vers une alliance oncologique : patients et infirmières unis dans la prise de décision médicamenteuse

novembre 2023 Opinions Diede Smeets

Le rôle des patients dans leur parcours de soins ne cesse de s’accroître. Ces dernières années, on constate une forte tendance vers une prise de décision plus partagée, également appelée « shared decision making ». Cette approche implique que les prestataires de soins et les patients prennent des décisions ensemble, en se basant sur des informations partagées et les meilleures preuves disponibles. Le patient se voit présenter différentes options, lui permettant de faire un choix éclairé en collaboration avec le professionnel de la santé.

La prise de décision partagée peut permettre aux patients d’acquérir une meilleure compréhension des médicaments qu’ils utilisent et améliorer la satisfaction des patients à l’égard de leur traitement. Non seulement les médecins, mais aussi les infirmières jouent un rôle essentiel dans la prise de décision partagée en oncologie. Les infirmières oncologiques sont impliquées dans la gestion des effets secondaires d’un traitement, le soutien à l’autogestion des médicaments par les patients, l’information des patients sur leurs médicaments, l’utilisation sûre et correcte de leurs médicaments, ainsi que la coordination des soins.

Décisions délicats

En oncologie, la prise de décision partagée entre le patient et l’infirmière peut être utile, par exemple, pour faire face aux effets secondaires, en cas de problèmes d’autogestion des médicaments ou en l’absence d’observance médicamenteuse. Même lorsque le patient se dirige vers des soins palliatifs, il est crucial de prêter une attention particulière aux valeurs et aux préférences du patient, et les décisions doivent être prises en concertation avec le patient. Il peut sembler difficile pour les professionnels de la santé d’impliquer les patients de manière appropriée dans ce type de choix.

Bien que de nombreuses recherches aient été menées sur la prise de décision partagée entre le patient et le médecin, il existe peu d’études sur la prise de décision partagée entre les infirmières et leurs patients. Récemment, le “European Journal of Oncology Nursing” a publié les résultats d’une étude belge sur la prise de décision partagée entre les patients et les infirmières concernant l’utilisation des médicaments en oncologie. L’étude a été menée par Laura Mortelmans, doctorante au Département des soins infirmiers et obstétricaux de l’Université d’Anvers. Dans cette interview, elle explique plus en détails la recherche et les résultats.

Comment vous est venu l’idée de réaliser cette étude ?

 « Cette étude s’inscrit dans le cadre de ma thèse de doctorat sur l’autogestion des médicaments par les patients. Les soins centrés sur le patient, l’autonomisation des patients et l’autogestion sont de plus en plus encouragés dans les systèmes de santé actuels. Cela a entraîné un changement des situations où les prestataires de soins prennent des décisions pour le patient vers la nécessité d’une plus grande implication du patient dans les décisions concernant le traitement et les soins. Il y a donc un besoin croissant de prise de décision partagée. Nous avons remarqué qu’il existe déjà beaucoup de recherches disponibles sur la prise de décision partagée, mais ces études se concentrent rarement sur l’utilisation correcte des médicaments et privilégient surtout la prise de décision partagée entre le médecin et le patient. Les informations disponibles sur la prise de décision partagée entre les infirmières et leurs patients sont bien plus rares, bien que nous estimions que les infirmières jouent un rôle important en raison de leur contact fréquent avec le patient. Les recherches existantes ne révèlent que peu d’indications sur la vision, l’expériences et la perception du rôle des infirmières et des patients dans cette prise de décision partagée. Nous étions spécifiquement intéressés par la prise de décision partagée pour soutenir le patient dans une utilisation correcte des médicaments. Le manque d’informations à ce sujet a motivé notre recherche. »

Comment l’étude a-t-elle été menée ?

« L’étude a été réalisée dans un service d’oncologie d’un hôpital généraliste en Flandre. Vu notre intérêt pour la vision et les expériences des patients et des infirmières, il était important pour nous de dialoguer avec eux. Nous avons d’abord réalisé des entretiens individuels avec les patients, en cherchant un équilibre entre ceux en phase de traitement et ceux en phase palliative. Nous espérions ainsi obtenir une gamme plus large d’idées et d’expériences. En complément, nous avons réalisé un entretien de groupe avec les infirmières du service d’oncologie. Nous avons choisi un entretien de groupe car nous voulions stimuler la discussion entre les infirmières. Notre objectif était d’encourager autant que possible l’expression d’opinions similaires et contradictoires entre les infirmières. Préalablement à l’entretien de groupe, nous avons observé la prise de décision partagée sur l’utilisation des médicaments dans la pratique clinique. Chaque infirmière du service a été suivie pendant une de ses gardes, et une échelle d’observation a été utilisée pour évaluer dans quelle mesure certaines comportements de prise de décision partagée étaient présents dans leurs soins. Les résultats de ces observations ont été utilisés pour encourager la discussion entre les infirmières lors de l’entretien de groupe. »

Quels ont été les résultats ?

« Nous avons interviewé sept patients, observé neuf infirmières, et finalement, six de ces infirmières ont participé à l’entretien de groupe. Sur la base des entretiens, nous avons finalement pu distinguer six thèmes importants concernant la prise de décision partagée :

1.            La connaissance de la prise de décision partagée ;

2.            L’implication du patient ;

3.            Les informations liées aux médicaments ;

4.            Le rôle du patient dans la prise de décision partagée liée aux médicaments ;

5.            Le rôle de l’infirmière dans la prise de décision partagée liée aux médicaments ;

6.            Les obstacles et les facilitateurs dans l’application de la prise de décision partagée liée aux médicaments.

La santé du patient s’est notamment révélée très importante dans la prise de décision partagée. Lorsque les patients éprouvent des symptômes tels que la nausée et la fatigue ou éprouvent des émotions très fortes, ils se sentent moins disposés ou aptes à participer aux décisions concernant les médicaments. Il est également important de consulter le patient lui-même pour savoir s’il souhaite être impliqué dans les décisions. Nous avons constaté dans nos entretiens que ce n’était pas le cas de tous les patients et que certains d’entre eux accordent une grande confiance au professionnel de la santé (et à sa décision). Il est donc nécessaire de s’enquérir régulièrement auprès du patient si celui-ci souhaite participer. Cela s’impose surtout à des moments cruciaux, tels que lorsque le schéma médicamenteux est modifié ou lorsque le traitement médicamenteux est commencé ou arrêté. »

Comment les patients perçoivent-ils le rôle de l’infirmière dans la prise de décision partagée ?

« Les entretiens avec les patients ont révélé qu’ils considèrent principalement l’infirmière comme une personne qui peut défendre leurs intérêts, transmettre des informations au médecin et informer le patient sur les médicaments. Ils voient rarement les infirmières comme les personnes qui prendront des décisions avec eux concernant les médicaments. Ils estiment que c’est plutôt le rôle du médecin. Dans les entretiens avec les patients et les infirmières, nous avons constaté qu’ils avaient tous deux une approche unilatérale de la prise de décision partagée concernant les médicaments. Cela concernait principalement la prise de décision concernant le choix d’un médicament, alors qu’il existe bien sûr d’autres domaines dans les soins pharmaceutiques où les infirmières peuvent prendre des décisions avec les patients. Songeons, notamment, aux décisions dans le soutien des patients à l’autogestion des médicaments et à l’observance thérapeutique. Si un patient indique, par exemple, qu’il oublie régulièrement de prendre ses médicaments, les infirmières peuvent, forte de leur expertise et de leur expérience, informer le patient sur différentes options pour y remédier. Par exemple, en leur conseillant l’utilisation d’une boîte à pilules, d’une alarme ou en associant la prise de médicaments à des moments récurrents de la journée. Engager la conversation avec le patient et prendre des décisions sur des aspects pratiques dans les domaines tels que l’autogestion des médicaments et l’observance thérapeutique est un tâche qui peut incontestablement être assumée par l’infirmière. De plus, dans leur rôle de défenseur des intérêts, les infirmières peuvent régulièrement interroger les patients sur leurs préférences, souhaits, problèmes et questions liés à l’utilisation ou à la gestion des médicaments. Elles peuvent également vérifier si le patient souhaite être impliqué dans les décisions concernant les médicaments. Les infirmières peuvent ensuite partager cette information avec le médecin et ainsi faciliter et soutenir le processus de prise de décision entre le patient et le médecin. Plusieurs prestataires de soins peuvent donc être importants et contribuer au processus de prise de décision partagée avec le patient. »

Quelles sont les barrières que rencontrent les infirmières dans la prise de décision partagée ?

« L’état émotionnel des patients peut diminuer leur volonté de prendre des décisions partagées, mais ce a peut également se vérifier auprès des infirmières .Elles sont parfois mentalement fatiguées, ce qui réduit leur attention à la prise de décision partagée. Par ailleurs, les infirmières avouent d’ailleurs, selon leurs propres dires, manquer de connaissances sur les médicaments. Cela les rend mal à l’aise pour prendre des décisions sur les médicaments que le patient devrait utiliser. Elles indiquent que la pharmacologie et la connaissance des médicaments sont abordées de manière limitée dans l’enseignement infirmier, ce qui les fait se sentir moins expertes en matière de choix de médicaments. Les infirmières indiquent également que la relation interpersonnelle entre le patient et l’infirmière peut constituer une barrière à la prise de décision partagée. Les infirmières et les patients signalent tous deux qu’il est plus facile de prendre une décision ensemble lorsqu’ils ont établi une relation de confiance. Lorsqu’ils se connaissent mieux, ils se comprennent mieux et peuvent mieux collaborer dans cette prise de décision. Enfin, la pression temporelle à laquelle les infirmières sont confrontées constitue une barrière supplémentaire. Les patients notent également que les infirmières sont déjà très occupées par leurs tâches habituelles, de sorte qu’elles ont moins de temps à accorder à la conversation avec le patient, sans parler de la prise de décision conjointe. Une réalité confirmée par les infirmières elles-mêmes. »

Quelle conclusion peut-on tirer de l’étude ?

« Selon les infirmières et les patients, la prise de décision partagée est actuellement peu appliquée dans la pratique. Plusieurs barrières semblent en être à l’origine. Cependant, notre recherche a également montré que les patients considèrent la contribution des infirmières au processus de prise de décision partagée sur l’utilisation des médicaments comme étant certainement précieuse. Les patients voient les infirmières comme des acteurs clés en raison de leur rôle informatif, de soutien et de plaidoyer dans les soins. Cependant, dans cette recherche, les participants ne percevaient la prise de décision partagée que dans le contexte de la prescription de médicaments et de la gestion des effets secondaires. Des recherches supplémentaires sur la prise de décision partagée dans d’autres domaines des soins pharmaceutiques s’avèrent donc nécessaires. »

Source

Mortelmans L, Bosselaers S, Goossens E, et al. Shared decision making on medication use between nurses and patients in an oncology setting: a qualitative descriptive study. Eur J Oncol Nurs 2023;64:102321.